Les épaves qui jonchent le fond asséché de la mer d’Aral sont  régulièrement pillées par des ferrailleurs.

Les épaves qui jonchent le fond asséché de la mer d’Aral sont  régulièrement pillées par des ferrailleurs.

 La salinisation des sols s’accroît un peu plus chaque année. Tous les mois, c’est 600 km2 de terres cultivables qui disparaissent de la surface du globe.

La salinisation des sols s’accroît un peu plus chaque année. Tous les mois, c’est 600 km2 de terres cultivables qui disparaissent de la surface du globe.

Après 80 kilomètres de piste, première trace de vie : ce coléoptère qui erre sous un soleil de plomb.

Après 80 kilomètres de piste, première trace de vie : ce coléoptère qui erre sous un soleil de plomb.

Épave d’un bateau de pêche abandonnée près de l’ancien port de Moynaq.

Épave d’un bateau de pêche abandonnée près de l’ancien port de Moynaq.

Au cœur du désert, une bonne surprise : un marécage qui abrite une avifaune foisonnante.

Au cœur du désert, une bonne surprise : un marécage qui abrite une avifaune foisonnante.

Photographie de Gilles Martin : Leurres abandonnés par des braconniers en mer d'Aral

Leurres abandonnés par des braconniers.

Plusieurs compagnies gazières et pétrolières se sont implantées dans le cœur asséchée de la Mer d’Aral.

Photographie de Gilles Martin : Au cœur du lit asséché de la Mer d’Aral.

Au cœur du lit asséché de la Mer d’Aral.

L’arche Photographique

Inventorier et informer

Voyage en Mer d’Aral

Mer d’Aral, un avant-goût d’apocalypse

En partant photographier la panthère des neiges au Kirghizstan, je ne me doutais pas que ce reportage m’amènerait jusqu’à Tachkent, capitale de l’Ouzbékistan, pour une toute autre aventure. Le temps d’un vol supplémentaire et de quelques heures de route pour me rendre en Karakalpakie, me voici à la recherche des derniers embruns de la mer d’Aral.

Des quais au bord d’une mer de sable

Moynaq est la dernière bourgade avant le désert. C’est là que j’ai trouvé deux guides locaux pour m’accompagner, et acheter les vivres et tout le nécessaire pour les campements. Car après la ville, il n’y a plus rien. Plus que le souvenir. Moynaq était autrefois un port prospère, vivier de l’URSS, vivant au rythme des allers et venues des chalutiers, et traitant 20 000 tonnes de poisson par an. La population de 60 000 habitants vivait de l’industrie de la pêche et des conserveries.
Aujourd’hui, les rues débouchent sur le désert, et le rivage de l’actuelle Mer d’Aral clapote à 180 km de là. La ville, oubliée du monde, est battue par les vents où se mêlent sable, sel et poussière. On peine à imaginer la vie qui animait cette citée, aujourd’hui ville fantôme, déprimante et lugubre, quasi-désertée depuis les années 1980, où règne la misère humaine. Il n’y a plus que les photos anciennes du musée local qui témoignent de son passé florissant.

Comme un robinet fermé

Dans les années 1950, le régime soviétique a misé sur le développement intensif de la culture du coton. Pour irriguer les steppes désertiques, on a puisé dans deux grands fleuves, l’Amou Daria et le Syr Daria. Les deux fleuves qui alimentaient la mer d’Aral et lui permettaient de compenser l’intense évaporation dans cette région d’Asie centrale.

Un paysage désertique de la mer d’Aral

En 1950, la Mer d’Aral couvrait une superficie de 67 000 km2. À l’époque, on dénombrait 173 espèces animales sur son littoral. Aujourd’hui, seule une quarantaine a survécue.

L’équilibre s’est rompu. En 1980, le flux n’était plus que le dixième de celui des années 1950. La mer s’est mise à perdre plus d’eau qu’il n’en arrivait par les fleuves. Entre 1966 et 1993, son niveau a baissé de 16 m, et ses rives ont reculé de 80 km. Elle a perdu 90 % de son volume, et les trois quarts de sa surface.

Mer et bateaux fantômes

Abandonnés par leurs équipages désœuvrés, les bateaux de pêche se sont posés sur le sol, les uns après les autres. Rongés par les vents de sable et de sel, désossés par les pilleurs qui tentent de récupérer les tôles d’acier. Comme des feuilles grignotées par des fourmis, leurs carcasses rouillées disparaissent elles aussi, inexorablement, d’un paysage aujourd’hui désertique où leur présence a un air de fin du monde.

Un bateau rouillé abandonné vors le post de Moynaq

Dans les années 1960, l’industrie de la pêche implantée à Moynaq et Aralsk, traitait 20 000 tonnes de poisson chaque année.

En pleine science-fiction post-apocalyptique

Rouler au fond d’une mer est une expérience inédite… En plein milieu de ce désert, je me dis qu’il y a seulement 50 ans, il y avait là, au-dessus de ma tête, plusieurs dizaines de mètres d’eau, riches de vie marine, de bancs de poissons, de plancton, et sillonnés de bateaux de pêche. Je lève les yeux. Vers le ciel. Aujourd’hui les tempêtes de sable balayent les pistes temporaires de cette immense cuvette sableuse qui ne contient plus rien. Je frémis en réalisant ce que la folie humaine est capable de faire : vider une mer !

Photo d’un petit oiseau, le panure à moustaches

Panure à moustaches (Panurus biarmicus).

Pour ajouter au scénario terrifiant, la région affiche des taux alarmants de maladies rénales et respiratoires, cancers, tuberculoses et malformations congénitales. En cause, les engrais et pesticides chimiques utilisés massivement pour la culture du coton et qui, par ruissellement, finissaient par se déposer dans les sédiments du fond de la mer où ils se faisaient oublier. La mer évaporée, et les voilà qui ressurgissent, emportés par les vents, affectant dramatiquement la santé de la population. Qui pouvait deviner qu’on respirerait un jour le fond empoisonné de la Mer d’Aral ?

Rencontres du troisième type

À part les buissons austères qui ont colonisé le sable, on ne perçoit aucun oiseau, aucun animal dans cet écosystème passé en quelques années de marin à désertique. La vie a fui. Mais peut-être pas si loin… Roulant sur le lit de la mer, nous faisons une pause pour manger. Et là, au milieu de nulle part, sur un lit de coquillages concassés, se promène nonchalamment un gros coléoptère. Une touche d’espoir sur les vestiges du drame ?

Un cigne tuberculé survolant la mer

Cygne tuberculé (Cygnus olor).

Une autre rencontre du troisième type nous attend. Moins agréable, celle-ci. En contrebas d’un escarpement qui borde le bassin jadis occupé par la mer, nous découvrons une zone humide formant une mosaïque d’étangs et de roselières. Ce sont les derniers marécages d’eau douce alimentés par l’Amou Daria. Un instant je me retrouve en France, dans la Brenne ou en Camargue. La similitude est encore plus troublante avec la présence de cygnes tuberculés, canards milouins, nettes rousses, foulques macroules et nombreux passereaux. Dans les environs dévastés, cette oasis bruissante de vie est inespérée, comme une réalité parallèle.

Et soudain, un grand moment d’effroi et de désarroi. Dans cet Eden paisible en marge du désastre, j’entends des coups de fusil. Et me voilà nez à nez avec… des chasseurs ! Des touristes allemands surpris en pleine partie de chasse. C’est désespérant. Comment peut-on tuer des oiseaux pour le plaisir dans ce fragile lambeau de nature miraculeusement sauvé ? Saccager la vie là où elle peine tant à survivre.

Lueur d’espoir ?

Certains pays qui se partagent la mer d’Aral tentent de sauver ce qu’il en reste. Le niveau de la partie nord (la mer est séparée en deux depuis 1989), alimentée par le Syr Daria, se maintient depuis 2005 grâce à la digue de Kokaral construite par le Kazakhstan.

Le lac Balkhach menacé comme la mer d’Aral

Malheureusement, la catastrophe écologique de la Mer d’Aral n’est pas un cas isolé. Au Kazakhstan, le lac Balkhach est en passe de subir le même sort.

Mais du côté de l’Ouzbékistan, deuxième exportateur mondial de coton, rien n’est fait pour inverser le scénario. Pire. J’apprends que les Ouzbeks ont vendu le fond asséché de la mer à des compagnies chinoises et malaises, qui réalisent des sondages et forages pour puiser le gaz et le pétrole emprisonnés dans les sédiments de l’ancienne mer. Derricks et pipelines viennent achever la tragédie. On l’a vidée de toute vie, et maintenant on remue le fond pour y chercher des combustibles fossiles. La mer d’Aral est morte deux fois.

Conseils photo

La découverte de la Mer d’Aral s’effectue en véhicule 4x4. Très peu de marche à pied, donc « No limit » pour le poids du matériel photo.

Attention

Dans ce désert qu’est devenu la Mer d’Aral, il y a fréquemment de puissants tourbillons de sable qui génèrent une poussière très fine. Prévoyez des sacs plastique étanches et des filtres neutres pour protéger vos optiques.

Matériel

  • 2 boîtiers réflex numérique full frame
  • 1 super grand angle 15 mm f/2,8
  • 1 zoom grand angle 24 - 70 mm f/2,8
  • 1 zoom 70 - 200mm f2,8
  • 1 téléobjectif 500mm f/4 ou un zoom 200 - 400 mm f/4. La faune observée dans la Mer d’Aral est assez farouche. Prévoyez éventuellement un multiplicateur de focale X1,4 ou X2.
  • 1 flash standard
  • 1 trépied pour les photographies de paysages, et la vidéo.